INSÉCURITÉ AU SAHEL BURKINABÈ: DES DÉPLACÉS INTERNES AUX SOUCIS SANITAIRES A COUPER LE SOUFFLE

Moins d’un mois après une marche d’interpellation (12 juin 2021) des populations du Sahel relative à la situation sécuritaire, la gent féminine de la région est revenu à la charge ce 10 juillet 2021 à Dori sous la houlette du Collectif des femmes du Sahel. Une mobilisation des femmes  qui selon les organisatrices, est dictée par l’urgence de la situation, dont la problématique de l’accès des déplacés internes aux soins de qualité.

Séquelles d’actes de torture

Dans le message livré par le Collectif des femmes du Sahel, figure une plateforme citoyenne, dans laquelle les populations du Sahel réclament dans l’urgence, l’amélioration de l’offre sanitaire dans leur région. En effet, pour ce qui concerne les soucis sanitaires des déplacés internes, « la réalité est toute autre que ce qu’on nous sert sur le terrain parce que l’accès aux soins de santé est très difficile pour les personnes déplacées, notons qu’elles sont en général et  en majorité très vulnérables, car elles n’ont aucune ressource pour assurer leurs soins et si l’État ne garantit ses soins gratuitement pour elles, ça devient très difficile à gérer, raison pour laquelle nous assistons à de nombreux décès au sein des déplacées », soutient la porte-parole du collectif des femmes, Aminata Cissé.

Également membre du collectif des femmes du Sahel, Djénéba Diallo, avoue vivre au quotidien la détresse des déplacées internes, « si on te tend une ordonnance alors que tu n’as pas 10 f, tu es obligé de revenir déposer l’ordonnance et la souffrance continue. De fois ce sont des crédits qu’il faut contracter pour se soigner. Cela signifie que les difficultés d’accès des déplacées aux soins de qualité est une triste réalité ». Étant elle-même une déplacée et présidente d’une association de promotion des droits de la femme et de l’enfant, elle déplore aussi des intimidations dans leur rang.

Alors que la situation reste difficile pour ces déplacées à Dori, leur afflux dans cette ville reste aussi une réalité, constate Abdoulaye Hoéffi Dicko, président du Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples, (MBDHP), section du Séno «A ce jour, les personnes déplacées internes continuent de venir de partout et Dori a vu sa population quadruplée. Comme le MBDHP est une organisation de masse, nombreuses parmi elles, viennent nous saisir pour leurs multiples problèmes, notamment de droit de justice quand il y a des violations de droits humains et des besoins d’assistance sanitaire, pour ces cas, au MBDHP, nous faisons recours à des partenaires. Ces besoins sont d’ordre psychologique au profit des personnes qui ont vécu certaines situation et sans prise en charge, elles ne peuvent pas tenir, il y a des personnes qui arrivent blessées, d’autres avec des enfants, malades ou malnutris, c’est la désolation seulement ».

Dans l’univers des personnes déplacés internes, réfugiées à Dori, quand des langues se délient, l’amertume s’installe, avec des témoignages à couper le souffle.

Parmi elles, la veuve Roukiatou, originaire de Gorel dans la commune de Arbinda. Après l’assassinat de son mari sous ses yeux en 2019, elle se réfugie à Gordjadji où elle ne fera seulement que quatre jours. La première attaque des groupes armés contre cette localité, va contraindre la veuve à s’installer à Dori. Mais depuis lors, en plus de l’assassinat de son mari, elle est visiblement traumatisée par l’état de santé de son enfant. « Ma fille souffre d’un mal de pied, son papa était à la recherche de soins adéquat quand il a été tué. Et depuis que j’ai eu refuge à Dori ici, je veux bien la soigner, mais comme je n’ai rien pour me rendre dans un centre de santé ou chez un tradipraticien, je me contente des médicaments de la rue qui sont à ma portée. Chaque fois que l’enfant en prend, je constate qu’elle arrive à supporter la douleur, mais si elle est en manque, elle ne peut plus marcher et visiblement son pied se déforme », explique avec peine la veuve.

Omar Ag Mohamed, un déplacé interne de trois (03) ans en voie de perdre sa peau, voire sa vie.

Comme la veuve Roukiatou, Djidata est aussi une mère essoufflée par les soucis sanitaires de son enfant Omar Ag Mohamed, évidemment un déplacé interne malgré lui. Originaire de Tasmakat dans l’Oudalan, il y a de cela sept (07) mois environ que sa mère a trouvé refuse avec lui à Dori. En plus de ce statut, lourd de sens, le garçonnet souffre d’une maladie de la peau. Renouvellement régulier de l’épiderme, fièvre, grattement, bain au savon insupportable par l’enfant, ce sont les seules manifestations externes du mal de Omar Ag Mohamed que constate sa mère Djidata. Ce 10 juillet 2021 à Dori, elle témoigne avoir fréquenté plusieurs fois les centres de santé pour espérer trouver un remède, mais en vain, le mal persiste malgré quelques traitements.

N’ayant plus les moyens nécessaires pour poursuivre avec les soins médicaux prescrits, puisque la gratuité des soins ne prendrait pas en compte son enfant, elle avoue s’être retournée vers les tradipraticiens. Là aussi, le mal ne guéri toujours pas. Ce ne sont pas n’ont plus des démarches vers des structures de secours ou de prise en charge qui manquent. A en croire la mère de Omar Ag Mohamed, une structure étatique, en l’occurrence les services de l’action sociale, a pris ses références en vue d’une probable prise en charge, mais aucun retour de leur part jusque-là. Aussi, ajoute-t-elle, une structure locale qui fait du monitoring de protection a repéré le cas de l’enfant et a produit des fiches de référencement à l’endroit des organisations non gouvernementales de prise en charge, mais jusque-là, Omar Ag Mohamed ne serait pas leur cible. Depuis lors, le désespoir gagne de plus en plus sa génitrice qui s’interroge si son enfant survivra de ce mal de peau. La survie du petit Omar est désormais sur la balance. Sera-t-il sauvé de son mal ? C’est toute la question…

Le petit Omar assied sur les pieds de sa mère

Si certaines déplacées sont toujours à la recherche de moyens pour soulager leurs soucis sanitaires, d’autres attendent de rembourser les crédits contractés pour se soigner.

Parmi ces dernières, Fadima Mamoudou, qui a fui Pétéguersé pour se réfugier à Dori. A l’écouter, elle a vu de toutes les couleurs avant que sa fillette de deux ans, malade, ne guérisse. Elle raconte avoir cherché en vain à contracter un crédit pour faire face au mal de l’enfant, mais il a fallu que ce dernier s’évanouisse avant qu’une bonne volonté se manifeste pour prêter 10 000 F CFA à sa mère afin d’honorer les frais médicaux.

Dans une situation similaire, la vieille Oumou, pleure toujours l’interruption involontaire de la grossesse de sa belle-fille. Enceinte de cinq mois, cette dernière avait cessé ses visites prénatales parce qu’elle n’était pas en mesure d’honorer ses ordonnances. Conséquences, un avortement involontaire s’en est suivi à domicile. N’eût été une évacuation au centre hospitalier Yalgado Ouédraogo pour prendre en charge les complications, sa belle-fille aurait perdu la vie, soutient-elle. A présent elle confie faire face avec peine aux crédits contractés pour les soins, qui jusque-là restent irremboursables.

AMPUTE DES DEUX MAINS, CE DÉPLACÉ INTERNE VOIT SON AVENIR EN POINTILLE…

Outre les enfants et les femmes, des hommes aussi traversent des moments difficiles relatifs à la situation sécuritaire-sanitaire. Oumarou en est un cas emblématique.

Séquelles de coups de fouet reçus par Oumarou

14 avril 2021, ce jour restera gravé dans la mémoire de Oumarou. Au petit matin de ce jour, le jeune de 30 ans a quitté Baliata son village pour se rendre au marché de Gorom-Gorom. Il s’y rendait pour vendre la chèvre de son géniteur à la demande de ce dernier. Mais la mission va tourner à l’enfer sur terre pour lui. Puisqu’il n’arrivera pas à destination. Selon ses témoignages que nous avons recueillis ce 10 juillet 2021 à Dori, il sera appréhendé par des individus qui seraient des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) de Korizéna, une localité située dans la province de l’Oudalan, région du Sahel du Burkina Faso. Accusé par ces derniers d’avoir volé l’animal qu’il transportait, Oumarou passera un moment cruel dans les mains de ses ravisseurs. Attaché avec une corde, les mains ligotées à l’aide de sa propre ceinture, fouetté et laissé sous le soleil de 8h à 18h, il relate avoir subi toutes les supplices possibles. C’est après lui avoir infligé tous ces traitements inhumains que ses ravisseurs lui ont remis aux forces de défense et de sécurité. Le trouvant certainement dans un état critique, il sera directement conduit dans un centre de santé à Gorom-Gorom par lesdites forces. Le jeune devrait se battre pour retrouver l’usage de ses mains qui selon des témoignages ont pourri après avoir été ligotées avec une forte intensité.

Les mains de Oumarou suite à son ligotage

Référé par la suite au CHR de Dori, les efforts du personnel médical n’ont pas atteint les résultats escomptés. Les mains du jeune Oumarou ont fini par séchées à l’image du bois sec. Il ne restait qu’à amputer toutes les deux mains de la victime des « VDP ». A court de moyens, il va perdre tout espoir de voir l’opération se réaliser.  Mais finalement, l’amputation a été faite grâce à la conjugaison des efforts d’une structure locale de défense des droits humains et d’un organisme humanitaire. Réfugié depuis lors à Dori où il suit ses soins, Oumarou se voit désormais à jamais comme une charge pour la société et ne cesse de méditer sur son sort. Fils aîné de ses parents tous vivants mais en âge très avancé, marié à deux femmes dont chacune porte un enfant, le jeune homme se demande, une fois guéri, que pourrait-il encore faire pour se prendre en charge ainsi que toute sa famille. 

Qui pour donner espoir à Oumarou d’être encore utile à la société ?

Oumarou après amputation

Certainement traumatisées par des actes d’horreur qu’elles ont vécu, certaines personnes déplacées qui se sont confiées à nous difficilement, ont souhaité que leurs voix ne soient pas enregistrées, encore moins diffusées, elles disent craindre que les assaillants qui seraient toujours à leur trousse, ne les entendent.

En somme, fuyant leurs localités d’origine pour cause d’insécurité, ces déplacées internes ont pour la plus part comme besoins fondamentaux à satisfaire : assurer la pitance du jour et résoudre les soucis sanitaires. En un mot comme en mille, leurs droits vitaux sont en périls.

C’est toute cette situation qui pousse le Collectif des femmes du Sahel à faire ce plaidoyer pour le droit à la vie, «« Excellence Monsieur le Président du Faso, nous avons plus que jamais besoin du soutien de l’Etat ; du soutien de la Nation tout entière, sous votre Haute impulsion, car :

•                  Les femmes de Solhan veulent vivre !

•                  Les femmes de Mansila veulent vivre !

•                  Les femmes de Gorgadji veulent vivre !

•                  Les femmes de Markoye veulent vivre !

•                  Les femmes de Déou veulent vivre !

•                  Les femmes du Sahel, à l’instar de celles de toutes les autres régions du Burkina veulent vivre, enfin débarrassées de deuils récurrents et de veuvage à porter, du fait des massacres tout aussi récurrents de leurs époux et de leurs enfants.

 Excellence Monsieur le Président du Faso, nous voulons tous vivre».

Dasmané NIANGANE

Laisser un commentaire