TENTATIVE D’EXPROPRIATION DE 30 HA DE TERRES RURALES A SAABA : LE VIEUX ILBOUDO, L’OPERATEUR ECONOMIQUE ET LE JUGE.

D’un côté le vieux Hamidou Ilboudo et ses frères, brandissant un procès-verbal de palabre et des attestations de possession foncière rurale (APFR) et d’un autre côté, l’opérateur économique Boukary Konditamdé, détenant par devers lui, des compromis de vente et des procurations spéciales. Chaque camp réclame la paternité des terres rurales sur une superficie de 30 ha à Tanlarghin un village de la commune rurale de Saaba. C’est après s’être déporté au tribunal de grande instance de Ouagadougou que ce litige foncier va se retrouver sur la table du juge Yaya Coulibaly. Très vite de nombreuses zones d’ombres vont transparaitre dans le traitement judiciaire de l’affaire. Conséquences, l’entourage du vieux Ilboudo va s’appuyer sur le passé du juge pour émettre des doutes sur les actes qu’il pose relatifs au dossier.  De quoi s’agit-il ? Eléments de réponses dans ce dossier.

Les faits remontent il y a un peu longtemps, mais c’est à partir de janvier 2019 qu’ils prennent une tournure judiciaire rocambolesque suite à des convocations émises à l’encontre des paysans de Tanlarghin par le juge Yaya Coulibaly, officiant au tribunal de grande instance de Ouagadougou. Ces convocations font suite à une plainte du sieur Boukary Konditamdé, opérateur économique de son état.  Ce dernier explique dans une correspondance adressée au juge Coulibaly, que « le 20 décembre 2013, 18 ha de terre lui ont été vendus à Tanlarghin dans la commune rurale de Saaba et que le 15 octobre 2016, il a encore acheté 12 ha, soit au total 30 ha. Lorsqu’il a voulu mettre  des piquets sur ses terres, il  en a été empêché. De ce fait, il entend que  la justice le rétablisse dans ses droits ». Mieux, le sieur Konditamdé demande aussi au juge de prendre des «sanctions disciplinaires  à l’encontre de tous ceux qui l’empêchent de borner les terres».

Boukary Konditamdé explique au juge Yaya Coulibaly qu’en le saisissant, il s’attend à une suite favorable.  « J’avais remis les 30 ha à une société immobilière de parceller pour moi dans un meilleur délai mais si y a toujours un problème, le délai ne sera pas respecté et la faute me reviendra, donc je vous demande de faire tout ce qui est de votre pouvoir pour que ce délai soit respecté », écrit-il au juge.

Le sieur Konditamdé revendique ainsi des terres rurales au détriment de plusieurs personnes.

Parmi elles, Hamidou Ilboudo. Paysan de son état, il est accusé par Boukary Konditamdé d’occuper une partie des terres qu’il a acquises. Mais le vieux de 64 ans brandit un procès-verbal de palabre dont il est titulaire et établi depuis le 10 février 2011, lui reconnaissant la possession foncière sur lesdites terres. Il se dit d’ailleurs propriétaire terrien depuis de longue date.

 « Je suis né à Tanlarghin ici en 1957, je suis cultivateur comme nos parents qui ont été ici, vous voyez les terres que nous cultivons ici, nos ancêtres étaient là, notre arrière-grand-père était ici, après lui, notre père a vécu plus de quatre-vingt ans, moi aussi, je suis né trouvé mon père sur le terrain », se défend-t-il.

Le vieux Ilboudo

Hamidou Ilboudo explique avoir saisi en plus, le service des domaines de la commune de Saaba le 16 avril 2014 pour faire constater sa possession foncière rurale. C’est en attente de remplir toutes les formalités pour ledit constat que le sieur Konditamdé se présente pour délimiter des terres qui auraient acquises. Seulement, une bonne partie du champ du vieux Ilboudo est concernée. Mais ce dernier est formel : « même si je dois mourir, je ne suis pas prêt à laisser mon champ, jamais. Je souhaite que la loi tranche ». C’est son opposition à l’opérateur économique qui lui vaut des convocations en justice.

Comme lui, Oumarou Ilboudo est sommé par le sieur Konditamdé de quitter des terres qu’il occupe. Seulement, Oumarou Ilboudo est titulaire d’une attestation de possession foncière rurale (APFR) depuis le 18 mai 2015.

Se trouvant dans la même situation que lui, Dominique Douamba est lui aussi détenteur d’une attestation de possession foncière rurale en date du 18 mai 2015.

Outre eux contre qui Boukary Konditamdé a porté plainte, d’autres personnes se sont rendus compte que dans les 30 ha qu’il dit avoir acquis, figurent également leurs terres. Elles sont alors intervenues volontairement dans le dossier et entendent que justice leur soit rendue.

Ainsi, depuis janvier 2019, le vieux Hamidou Ilboudo et ses frères disent squatter les couloirs du tribunal pour répondre aux convocations du juge.

 « Depuis janvier 2019, M Konditamdé nous a convoqués chez le juge Yaya Coulibaly. Nous sommes allés trois à quatre fois dans son bureau mais rien n’a été résolu», explique-t-il.

A l’en croire, lui et ses frères avec l’aide de leur conseil, ont relevé des incohérences dans l’action judiciaire à leur encontre. Pour eux le juge en chambre de conseil seul ne peut trancher  cette affaire, d’où la thèse d’une  certaine incompétence de Yaya COULIBALY qu’ils soutiennent.

Ensuite, avant même d’en arriver à cette thèse, explique une source judiciaire proche du dossier, il s’avère aussi que « l’action de Boukary Konditamdé est irrecevable», ce, pour plusieurs raisons. Cette source fonde son argumentaire sur la loi portant régime foncier rural au Burkina Faso, qui stipule en son article 96 que, « les conflits fonciers ruraux doivent faire l’objet d’une tentative de conciliation avant toute action contentieuse… ». A cet effet, l’article 97 de la même loi précise, « Toute procédure de conciliation doit faire l’objet d’un procès-verbal de conciliation ou de non conciliation. (…), en cas de non conciliation, la partie la plus diligente peut saisir le tribunal compétent, en joignant à l’acte de saisine, le procès-verbal de non conciliation »

Or nous explique-t-on, le sieur Konditamé n’a pas joint à sa plainte, un procès-verbal de non conciliation. Egalement, les personnes qu’il accuse de l’empêcher de s’installer sur son terrain, par la voix de Hamidou Ilboudo, disent n’avoir jamais été appelées à une instance de tentative de conciliation.

Un fond de dossier  truffé de pièces douteuses ?

Boukary Konditamdé a joint à sa plainte un certain nombre de pièces dont nous avons obtenues copies.  A voir clair, elles semblent comporter de nombreuses incohérences. D’abord, il affirme dans sa lettre adressée au juge, que les terrains lui ont été cédés par G. NIKIEMA, S. B. OUEDRAOGO et A. K. OUEDRAOGO, qui seraient tous des responsables coutumiers. Pourtant, il a fourni des compromis de vente et des procurations spéciales élaborés par un notaire dont l’acheteur est Madame A.KONDITAMDEavec comme vendeurs O. OUEDRAOGO, P. OUEDRAOGO, T.OUEDRAOGO et S.OUEDRAOGO.

En plus, autres détails flous que nous relevons, aucun des croquis et récépissés de terrain que Boukary Konditamdé a présentés ne porte le nom du village de Tanlarghin alors qu’il soutient dans sa lettre au juge que les terrains sont situés dans ce village. Sur les pièces qu’il a présentées, Tangonkin, Badnogo 2, Tankongho, Zinguedessé, sont les villages qui abritent les terrains qu’il a achetés. Aussi, un des croquis de terrain présentés avec d’ailleurs pour demandeur Mme. A. KONDITAMDE, renseigne clairement que le terrain est situé dans le village de Zinguedessé, un village qui relève plutôt de la commune rurale de KOMSILGA, alors que Tanlarghin est de la commune de SAABA.

Aussi, des noms figurant sur plusieurs croquis en tant que demandeur, diffèrent des noms portés par les procurations spéciales et compromis de vente qui les accompagnent.

Dans le dossier fourni par le sieur Konditamdé, on décèle également l’usage de CNIB expirées. C’est le cas de la CNIB établie le 02/04/2008 appartenant à K. OUEDRAOGO qui expirait le 01/04/2018, qui a été légalisée le 03/04/2018, donc après l’expiration, puis jointe au dossier.  C’est aussi le cas d’une autre CNIB établie le 02/04/2008 avec pour détenteur O. OUEDRAOGO, qui expirait le 01/04/2018 et qui a aussi été légalisée le 03/04/2018, soit après l’expiration puis jointe au dossier. On y relève également, l’usage de deux CNIB différentes pour une même personne  afin d’établir et le compromis de vente et la procuration spéciale. Pourtant deux documents établis le même jour et chez un même notaire. Il s’agit précisément du cas de P. OUEDRAOGO. Sa procuration spéciale  produite le 24 juillet 2018, contient une CNIB établie le 11 avril 2008, soit expirée le 10 avril 2018. Ce qui parait bizarre, est qu’une autre CNIB délivrée le  11 juillet 2018 est utilisée pour produire le compromis de vente de P. OUEDRAOGO, rédigé le même jour, chez le même notaire.

La même situation s’est aussi reproduite pour le nommé K OUEDRAOGOavec l’usage de CNIB différentes. A préciser que le récépissé de demande de constatation de possession foncière rurale, joint au dossier de ce dernier et établit le 27 février 2017, porte plutôt le nom A. K. OUEDRAOGO.

Mais après avoir intenté son action en justice, Boukary Konditamdé sans attendre une quelconque décision judiciaire  n’entend visiblement pas laisser d’autres personnes mener des activités sur les terres qu’il revendique. En témoigne sa présence très remarquée sur les lieux le dimanche 20 octobre 2019. Ce jour, nous avons été témoin de disputes très électriques entre lui et d’autres personnes entouré de cinq personnes acquis à sa cause dont quatre portaient des amulettes et tenaient des armes blanches telles des machettes et gourdins. Lui-même, ses mouvements soulevant son habit, laisse voir qu’il est armé d’un pistolet. Face à eux une dizaine de personnes à qui il a ordonné d’arrêter des travaux de creusage qu’elles effectuent sur un terrain. Suite à cela, le vieux ilboudo et ses frères confient avoir porté chacun des plaintes contre le sieur Konditamdé. Le concernant, nous l’avons joint au moins trois fois afin de recueillir sa version de cette affaire juridico-foncière, il a chaque fois promis de nous revenir. Lors du dernier appel, il a souhaité d’ailleurs que nous rencontrions plutôt son avocat et a promis de nous laisser ses adresses, mais jusque-là aucun retour de sa part.

 BOUKARY KONDITAMDE de dos

Les hommes de BOUKARY KONDITAMDE

Un traitement judiciaire qui soulève moult questions.

Le traitement judiciaire de cette affaire foncière, laisse transparaitre de nombreuses zones d’ombres entre les différents acteurs. A commencer d’abord par le plaignant Boukary Konditamdé, qui a directement saisi et nommément cité le juge Coulibaly dans sa lettre. A son tour, le juge Yaya Coulibaly procède à plusieurs convocations à l’adresse des opposants du plaignant. Mais les sources judiciaires que nous avons consultées sont formelles à propos de la procédure.

Saisir le juge directement n’est possible que « si une requête avait préalablement été introduite à ce sujet et qu’à la suite, une des parties décidait d’adresser une correspondance au juge en charge du dossier pour lui exposer les faits », explique une source. Autrement une pareille requête est adressée en bonne et due forme à une juridiction. Et là aussi la requête ne vient pas directement du plaignant  comme nous l’explique cette autre source, « C’est un huissier de justice qui doit monter le dossier, pour ensuite le déposer au greffe du tribunal de grande instance du lieu de situation du terrain. Le dossier sera programmé à l’audience publique, pour être ensuite renvoyer à la mise en état où toutes les parties sont convoquées et entendues. Après cette étape le dossier sera renvoyé à l’audience publique par le juge de la mise en état au cours de laquelle les différentes parties se défendront et s’en suivra  le délibéré ».

Mais avant d’aller chez l’huissier précise notre source, « les parties doivent tenter une conciliation préalable diligentée par la commission villageoise de conciliation foncière de la localité, à défaut, certains s’adressent au préfet de la localité à cet effet ».

Une troisième source judiciaire nous explique que la démarche du juge Coulibaly allait être compréhensible s’il était un juge de la mise en état, ce qui n’est pas le cas. Mais la saisine étant faite, une décision d’incompétence devait s’en suivre de la part du juge ou tout au plus il décide d’une réorientation du plaignant, fait savoir la source.

Des zones d’ombres autour de la saisine de Boukary Konditamdé

Le juge Yaya Coulibaly nous a reçu dans son bureau ce 11 septembre 2020.

D’entrée de jeu, il admet avoir été saisi du dossier. Mais il balaie du revers de la main, sa saisine directe par le sieur Boukary Konditamdé. Le magistrat Coulibaly soutient plutôt que le dossier lui a été affecté en tant que juge en chambre de conseil par le président du tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou. Cependant, Me Issa Diallo, l’avocat du vieux Ilboudo et ses frères, n’a pas connaissance d’une demande de Boukary Konditamdé à l’adresse du président du tribunal. Nous l’avons rencontré ce 23 novembre 2020. « Le premier acte qui m’a été produire est une demande adressée à un juge du tribunal de grande instance de Ouagadougou par monsieur Konditamdé Boukary demandant son intervention pour un problème de terre. Dans le dossier du juge, c’est ce qui m’a été produit et par la suite. Monsieur Konditamdé n’a jamais saisi le président du tribunal. Il a saisi un juge de TGI de Ouagadougou demandant son intervention », précise l’avocat. Mais le 11 septembre dernier, le juge Yaya Coulibaly nous a brandi ladite demande que le sieur Konditamdé a adressé au président du tribunal, datée du 27 décembre 2018 et arrivée au Tribunal le 02 janvier 2019, dans laquelle il demande l’intervention du président entre lui et « un groupe qui s’oppose à l’achat d’un terrain d’une superficie de 30 ha ». Le juge Coulibaly explique qu’après affectation du dossier, le délibéré était prévu pour le 26 février 2019 et prorogé pour le 05 mars 2019. Et finalement, il dit s’être rendu compte qu’il ne pouvait pas prendre une décision en chambre de conseil, chose qu’il aurait signifié au demandeur qui n’est autre que Boukary Konditamdé et lui aurait dit de se pourvoir en assignation.   Pendant ce temps, le vieux Ilboudo et ses frères tout comme leur conseil, ignorent que le juge Coulibaly s’est dessaisi de l’affaire. «  Je n’ai pas vu de décision de juge, il n’a pas rendu de décision jusqu’à l’heure où je vous parle parce que le dossier était en délibéré qui devait être vidé en avril 2019 n’a pas été vidé jusqu’au aujourd’hui 23 Novembre 2020 ; ce qui veut dire que le juge n’est pas dessaisi. Parce que s’il s’est dessaisi soit il retourne le dossier au président du tribunal parce que c’est le président qui gère le tribunal, soit il a rendu une décision ; ce qui le dessaisi. Mais à l’heure où je vous parle, je n’ai pas connaissance d’une décision rendue et je n’ai pas connaissance du retour du dossier au président », explique Me Issa Diallo

Bizarrement la correspondance adressée par l’opérateur économique au juge qui tiendrait lieu d’acte de saisine selon l’avocat et ses clients, est datée le 03 janvier 2019, un jour férié. Mais paradoxalement, les toutes premières convocations  du juge Coulibaly à l’endroit de ceux contre qui se plaint le sieur Konditamdé sont signées le 02 janvier 2019, alors que la requête a été reçue au tribunal à la même date. Selon une source judiciaire, une pareille requête est réceptionnée d’abord au greffe du tribunal, qui la transmet ensuite au secrétariat du tribunal et c’est quand le président la reçoit à son tour qu’il va l’affecter à un juge pour traitement. La requête du sieur Konditamdé a-t-elle suivie toute cette procédure ? En tout cas la célérité avec laquelle le juge Coulibaly a déclenché les convocations, laisse bon nombre d’acteurs du milieu songeur.

Un passé du juge Yaya Coulibaly qui ne rassure pas des justiciables

Dans l’entourage du vieux Ilboudo, d’énormes suspicions sont émises sur le juge Yaya Coulibaly dans ce litige foncier, qui pourraient selon ses proches, justifier le sort que subi le traitement du dossier.   La réputation du juge est ainsi mise sur la sellette en termes de traitement de dossiers judiciaires. En ligne de mire, son passé dont relate   un article de Courier Confidentiel, le mettant en cause dans une affaire « d’évasions de détenus ». A en croire les informations contenues dans ledit article publié dans le N°148 du 25 janvier 2018, Yaya Coulibaly, alors président de la commission d’application des peines au tribunal de grande instance de Manga, « foulait aux pieds les règles de droit ». « Du clientélisme semblait exister dans l’octroi des permissions de sortie à des détenus de la maison d’arrêt et de correction de Manga », sous son magistère.   « Après un passage de l’inspection des services judiciaires au premier semestre de 2017, le constat a été établi que les permissions de sortie étaient exagérées. Il a été recommandé de relever Yaya Coulibaly de ses fonctions à Manga. Il a ainsi été muté au tribunal de grande instance de Ouagadougou comme juge au siège », écrivait le journal. Le PDG de EKOBOUF  Boukary Konditamdé et le juge au siège Yaya Coulibaly se connaissaient-ils auparavant ? Nous n’en savons rien, par contre l’entourage du vieux insinue une probabilité.

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